Témoignage: Diplômé, malvoyant et chômeur " C'est à l'étape de l'entretien que ça se gâte ".

Le pedigree de Stéphane Forgeron a de quoi exciter le chasseur de tête le plus blasé. Mais à chacun de ses entretiens d'embauche, ce jeune Angevin de 27 ans essuie un refus poli. L'explication est élémentaire : il est malvoyant.
Dans leur recensement des actifs et des demandeurs d'emploi, les statistiques de l'Insee ne parlent jamais des personnes handicapées. Or celles-ci sont bien plus souvent au chômage que les valides. Stéphane Forgeron en est convaincu par expérience : l'embellie économique et la croissance, ce n'est pas pour lui. Voilà plus d'un an qu'il frappe à la porte des entreprises, sans espoir d'embauche.
Son CV, pourtant, n'a rien d'anémique. Cinq ans d'études linguistiques à l'Institut de perfectionnement des langues vivantes d'Angers, un diplôme de traducteur technique en anglais et espagnol, un diplôme commercial en Espagne, un autre en commerce international de l'École supérieure de gestion de Paris, d'où il est sorti major de sa promotion, plusieurs stages à l'étranger, il parle couramment l'anglais, l'espagnol et le portugais. " Quand je réponds à un appel d'offres, pas de problème, j'ai le profil, explique-t-il, c'est à l'étape de l'entretien que ça se gâte. " Pourquoi ? Tout simplement parce que ce jeune diplômé féru de relations internationales est malvoyant de naissance.
Ce handicap ne l'empêche nullement de naviguer sur son ordinateur, ni de sortir le bon dossier au bon moment. " En réalité dit-il, le fait d'être handicapé est surtout handicapant en raison des préjugés. Si je dis que mon créneau est l'international, on me rigole au nez. Dans mon dernier entretien avec une grosse firme automobile qui recherchait quelqu'un pour le marché d'Amérique latine, j'étais le candidat idéal. Au dernier moment, on m'a écarté. Et, bien sûr, on ne donne jamais la vraie raison et il n'y a aucun recours. "
Banalisation
Dans la plupart des cas, les employeurs potentiels doutent de l'efficacité d'un collaborateur handicapé. Alors on lui propose un job sous-qualifié. " Moi, on veut bien m'utiliser comme standardiste ou secrétaire, mais surtout pas à un poste de cadre que je mérite. Si j'ai pu franchir toutes les étapes universitaires, c'est quand même que je suis compétent, non ? "
De même, Stéphane Forgeron, comme on le lui a souvent conseillé, pourrait se rabattre vers l'enseignement. Il en a les capacités, mais ce n'est pas sa vocation. " Ma passion, c'est le commerce. Pourquoi devrais-je faire autre chose ? Aujourd'hui, je vis avec mon allocation d'adulte handicapé plus une allocation compensatoire, soit un peu plus de 7 000 F mensuels. Ce n'est pas la misère, mais, l'assistanat, ce n'est pas non plus une solution. "
"Le pire, ajoute-t-il avec amertume, mais sans résignation c'est que les critères de recrutement ne sont pas objectifs et tout le monde s'en fiche. Si je suis évincé, personne ne viendra me soutenir et, surtout, personne ne paraîtra surpris. Nous, les handicapés, on est minoritaires. On parle de banalisation de la violence. J'affirme qu'il y a une banalisation de la discrimination. "
Marc DÉJEAN.
(Source: Ouest France)
Il est possible de visiter la page personnelle de Stéphane Forgeron sur http://perso.wanadoo.fr/stephane.forgeron/

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